Climats bourguignons
Avril aura décidément eu très mauvais caractère cette année, ou beaucoup
de chagrin, c'est selon, car ses larmes auront accompagné toutes mes
escapades provinciales avec une constance qui relève de l'acharnement.
Mais une rencontre familiale tant de fois reportée et enfin gravée
dans les agendas respectifs aura eu raison de ses ronchonnades.
Bourgogne, nous voilà.
J'avais déjà évoqué cette somptueuse et chatoyante province dans
un billet ICI. Nièvre et Yonne ont cette fois cédé la place à
Côte d'Or et Saône et Loire.
{La Roche de Solutré et ses champs de bleuets; comme les pèlerins, poser sa pierre à l'édifice; sur la route
du retour, arrêt à Chapaize et son incroyable église}
Quoi de plus joyeux qu'une mini-cousinade, pour une fois sans la descendance,
juste entre nous, les "vieux" enfants, nous qui nous sommes connus tout petits,
avons fait mille tours ensemble, cow-boys et fées, pouffant de rire ou
nous ennuyant fermement lors de ces repas de famille trop sérieux, mais qu'on regrette tant maintenant, ou pendant les parties de Monopoly tout aussi
interminables parce qu'on avait acheté toutes les gares et que l'aîné
avait échangé avec le benjamin naïf la rue de la Paix contre un Mars.
Merveille que ces retrouvailles. Merveille que cette ascension finalement
peu ardue parce que bien chaussés, de la majestueuse Roche de Solutré,
dont la vue au sommet vaut tous les gratte-ciels du monde. On salue
ceux que l'on croise avec le sourire, on prend le temps de choisir le
tout petit caillou qui complètera un cairn, on ne cueille surtout pas
les fleurs, mais on s'instruit sur Plantnet, et dans la descente,
sous le crachin, les capuches rabattues nous donne des allures de
moines engourdis appelés pour les Laudes.
{Des paysages viticoles impeccablement peignés}
Emprunter pendant ces quelques jours les chemins des écoliers - à condition
toutefois que ceux-ci soient majeurs confirmés! - pour s'adonner à quelques
haltes très sages dans ces villages dont la belle poésie des noms sonne
comme une ode à la dive bouteille : Chassagne-Montrachet, Nuits Saint Georges,
Vosne-Romanée, Gevrey-Chambertin... Et s'imprégner de la majesté des abbayes,
nombreuses par ici, mais comme il faut choisir, jeter son dévolu sur l'une
des plus fameuses, les plus emblématiques, Cluny.
{Cluny, abbaye bénédictine dont il ne subsiste que le quart des édifices d'origine; un trésor de plus de
2000 deniers y a été découvert récemment lors de fouilles ! Et puis ce petit côté méditerranéen de la
ville même, qui regorge de jolies échoppes}
Se laisser aller au vertige de la lenteur sous les arcades d'un cloître en
dissidente du groupe qui suit docilement la guide, se glisser dans des alcôves festonnées de statues à l'allure un peu effrayantes, croiser quelques gadzarts* costumés en répétition à l'approche de leur Grand Gala, sortir dans le
parc sous un ciel de limaille, puis musarder dans Cluny la ville, jolie,
coquette, où l'on se promet de revenir un jour, sans parapluie, ce serait bien.
{Brancion, village médiéval hétéroclite, doté lui aussi d'une merveille d'église aux murs couverts de fresques
du XIIIe, malheureusement affadies par les siècles}
Nous quittons Cluny après un petit délice de ravioles à la truffe,
raisonnablement accompagné d'un Pouilly-Fuissé suave et minéral, transition
logique tant nous baignons dans l'ambiance vieilles pierres, pour Brancion,
village médiéval perché, dont les fondations remontent à l'âge de bronze.
Du monticule où se dresse l'église Saint Pierre et son jardin de simples,
la vallée déroule sa couverture de patchwork aux mille teintes de verts.
Silence. Arrêt sur image.
{Horizons...}
Nous n'en sommes plus à un édifice religieux près. Vous non plus j'espère.
Car voici Chapaize et son église prieurale aux piliers colossaux, Ozenay
et son porche à charpente apparente, Tournus et sa superbe abbatiale Saint
Philibert.
{Chapaize, Ozenay, beautés romanes; rencontre féline éphémère, où que j'aille, c'est comme un rite !}
Tournus, dont on ne prononce pas le "s", peut s'enorgueillir de cette abbaye
en parfait état de conservation, son cloître paisible, ordonné, sa crypte toute
en niches-absides et recoins, où l'on déambule en frissonnant, son orgue en nid d'hirondelle, la ligne graphique de ses vitraux signés Brigitte Simon,
disciple de Le Corbusier.
{Abbatiale Saint Philibert de Tournus, crypte, orgue et cloître}
Cette belle semaine pleine de chaleur, de rires, d'histoires et de quelques
larmes émues n'aura pas eu les faveurs d'une météo en harmonie avec le
plaisir d'être ensemble. La pluie, les nuages plombés de tous les tons de
gris, le vent indiscret s'invitant par bourrasques, en somme de quoi réjouir
un randonneur fou d'Irlande, seront moqués et traités par le mépris.
{Boutique brocante près de l'église; lasagnes aux légumes prêtes pour le dîner, posant sur la margelle;
petits aperçus du dernier déjeuner savouré aux Terrasses; le "Tournusien", gourmandise locale addictive !}
Paris nous fait signe, mais il est encore trop tôt. Une halte à Dijon, la belle digue di, la belle diguedon, et promis, on rentre. On fait le plein de moutarde, de pain d'épices et de splendeurs au Musée des ducs de Bourgogne, un gros petit déjeuner à la brasserie art déco La Bourgogne, nous tiendra lieu de repas, et bientôt, les lumières mouillées de Fleury en Bière sonneront la fin de la récré.
{Huit clins d'oeil sur Dijon, qui mérite beaucoup mieux, lorsqu'on y reviendra plus longuement}
* Les gadzarts sont les élèves de l'Ecole Nationale Supérieure des
Arts et Métiers, sise dans l'enceinte de l'abbaye
Précieuses adresses :
- Brancion, village et château
- Aux Terrasses : restaurant étoilé à Tournus
- Pâtisserie Lathuilière, pour son Tournusien (entre autres...)
- Le Palais des Ducs de Bourgogne à Dijon, abritant le musée
des Beaux-Arts, et dont l'entrée est gratuite
- La Bourgogne, brasserie style années 30 à l'accueil très aimable
- Mulot et Petitjean, évidemment...